Inès Leonarduzzi débat avec le Président France de Microsoft, Carlo Purassanta

Sans Tabou est une nouvelle série de débats en 6 épisodes créée par Microsoft France et Usbek & Rica. Un dialogue honnête, garanti sans bullshit, social washing ou fantasme d’Elon Musk, pour réfléchir sérieusement aux grands défis de nos sociétés et faire advenir un futur plus souhaitable. 

Dans cet épisode du 21 avril, Carlo Purassanta, le président de Microsoft France débat avec Ines Leonarduzzi, fondatrice de l’ONG Digital For The Planet et auteure de Réparer le futur (Éditions de l’Observatoire, février 2021), qui vient témoigner des impacts du numérique sur la planète et des moyens d’en faire un usage plus responsable.

Envoyer un selfie vous semble innocent ? Archiver un mail vous semble plus écologique que de l’imprimer ? N’en soyez pas si sûrs. Chaque jour, nous produisons 2,5 trillions d’octets de données et nous interrogeons Google 6,9 milliards de fois. Chacune de ces actions a un coût écologique et énergétique. Si Internet était un pays, il serait le 6ème consommateur d’énergie et le 7ème émetteur de CO2 de la planète. Alors, envoyer ce mème de chaton est-il réellement indispensable ?

Un numérique vert est-il possible ?

INÈS LEONARDUZZI

Un numérique vert est possible mais il n'existe pas encore. Pour le faire advenir, il faut d’abord comprendre les effets combinés de 3 types de pollution : la pollution numérique environnementale qui affecte la planète ; la pollution numérique intellectuelle qui affecte nos capacités cognitives ;  la pollution numérique sociétale qui effrite les fondements mêmes de notre société. Se focaliser sur le seul impact environnemental du numérique est réducteur car tous ces sujets sont étroitement connectés. Il nous faut également tenter d'aller contre le réflexe nietzschéen qui consiste à offrir un supplément d'âme sur ce que l'on fait mal, à ajouter un peu de vert sur les carrés et les ronds. En réalité, ce sont toutes les formes, les modèles et les systèmes qu'il faut réinventer. On ne peut se contenter de mettre une légère couche de vert sur une masse de gris. il ne sert à rien de poser du gazon sur du bitume.

CARLO PURASSANTA

Le numérique vert est possible et nécessaire pour résoudre les défis du développement durable. Le secteur porte une responsabilité et représente une réelle opportunité. Le numérique produit 4 % des émissions de CO2 - un chiffre qui a triplé ces dernières années. L'industrie du numérique, ceux qui ont la capacité computationnelle, la mettent à disposition, créent les dispositifs à usages personnels. C'est donc à eux que revient la responsabilité de transformer toute leur chaîne de valeur pour qu'elle soit responsable. Cette bataille devrait prendre une dizaine d'années. Microsoft, qui fait partie de cet écosystème, a pris des engagements pour être complètement responsable sur l'ensemble de ses opérations et les usages que les consommateurs font de ses dispositifs d'ici 2030. Quand nous aurons un numérique propre et responsable, notre prochain défi sera  de réduire les 96 % d'émissions restantes, celles produites par l'agriculture, la mobilité, la logistique, la production industrielle, les villes intelligentes… Comment résoudre ces défis si on ne peut pas étudier avec transparence et précision les chaines de création de valeur et leur impact environnemental ? À chaque fois, il y aura des paradigmes industriels à changer, des technologies à transformer. Et le numérique constitue un levier incontournable pour transformer les autres industries.

D'après vous, le numérique contient donc les solutions aux problèmes qu'il crée. N'est-ce pas un paradoxe difficile à défendre ?

CARLO PURASSANTA

Il faut comprendre la complexité de ce que le numérique englobe. Nous ne parlons pas seulement des applis que l’on utilise sans se soucier de sobriété numérique – comme Facebook ou Instagram, pour ne pas les citer. Le numérique peut aussi permettre à un agriculteur d’avoir un meilleur rendement, d’utiliser moins d’eau, moins de produits chimiques et d’obtenir des produits de meilleure qualité. Or c’est l’un des plus grands défis qu’il nous reste à résoudre. Nous serons 9 milliards d’habitants en 2050. Il est donc urgent de parvenir à imaginer un écosystème qui permette à tout le monde de vivre dignement, de boire de l’eau potable, de se nourrir correctement… Le numérique sert à améliorer chacune des chaînes de valeur dont nous avons besoin : les routes, l’urbanisme, les chaines logistiques, les systèmes de production industrielle… Tous les produits, tous les services que nous utilisons sont des chaînes de valeur très polluantes. Le numérique peut aider à transformer les briques de cette construction de valeur pour la rendre plus durable, avec des impacts gigantesques à long terme.

Cette industrie numérique plus vertueuse et responsable est-elle une ambition à la hauteur des enjeux ou bien se contente-t-elle de « peindre le bitume en vert » ?

INÈS LEONARDUZZI

On pourrait traduire ce qui vient d’être exposé par le Green IT et IT for Green. Une fois qu’on a réduit l’impact environnemental des infrastructures et de nos usages, responsabilisé la fabrication et le recyclage des appareils- qui ont un gros impact environnemental –  bref, une fois que ces outils sont devenus moins nocifs pour la planète, alors on peut utiliser le numérique à des fins utiles au bien commun. Sauf que, pour le moment, les Big Tech préfèrent chercher du pétrole dans le sable plutôt que d’aider les agriculteurs. Nous sommes confrontés à un vrai problème de priorisation de marché : la médecine, l’agriculture et les autres enjeux liés à l’hyper-population ne sont clairement pas en tête de liste. 

D’autre part, je ne pense pas que la technologie numérique soit absolument indispensable. Ce sont davantage notre état d’esprit et notre  manière de réfléchir qui doivent être repensés : quelle question faut-il vraiment se poser ? Pour réinventer son modèle, il faut aller jusqu’à remplacer nos usages. Si la technologie est un outil, il y a des moments où l’on doit nécessairement l’utiliser et d’autres où elle n’est pas indispensable. Aujourd’hui, le vrai outil indispensable, c’est notre cerveau. Dans son essai, Apocalypse cognitive (Le Seuil, janvier 2021), Gérald Bronner indique que la vraie bataille se fera sur le marché cognitif. La vraie question à se poser est donc : qu’allons-nous faire avec notre cerveau pour réparer le futur ensemble, entre entreprises, pouvoirs publics et citoyens ? 

Retrouvez l’intégralité de l’échange sur Usbek & Rica. Vous pouvez aussi le visionner en vidéo.

Digital For The Planet